Le Congrès américain adopte une loi ciblant la collusion entre gangs et élites en Haïti
Le Congrès américain a adopté une loi visant à réduire l’influence des gangs armés en Haïti en ciblant leurs soutiens politiques et économiques. Le texte fait partie de la Loi d’autorisation de la défense nationale et attend désormais la signature du président Donald Trump, rapporte le Miami Herald ce jeudi 18 décembre.
Baptisée Loi sur la transparence en matière de collusion criminelle en Haïti, la mesure oblige le gouvernement américain à enquêter sur les liens entre gangs violents et membres de l’élite politique et économique haïtienne. Elle prévoit également des sanctions financières contre ceux qui sont reconnus coupables d’avoir soutenu ou profité des activités de ces groupes armés.
Le projet de loi a été porté par le député démocrate Gregory Meeks, membre influent de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, et par la sénatrice démocrate Jeanne Shaheen, figure majeure de la diplomatie américaine au Sénat. Le sénateur républicain Rick Scott s’est joint à l’initiative, assurant un soutien bipartisan sur le dossier haïtien.
Une fois promulguée, la loi obligera le secrétaire d’État américain à remettre au Congrès sur cinq ans une évaluation détaillée de l’ampleur et de la nature de la collusion criminelle en Haïti. Le rapport devra identifier les principaux gangs et leurs chefs ainsi que les responsables politiques et hommes d’affaires, actuels ou anciens, qui entretiennent des liens directs avec eux. Il devra expliquer comment ces relations sont utilisées à des fins personnelles.
La loi prévoit des sanctions financières pour ceux qui soutiennent ou bénéficient des activités des gangs. Pour Gregory Meeks, il n’y aura pas de progrès sans s’attaquer aux réseaux qui financent et protègent la violence armée. Mais le texte ne prévoit aucun nouveau financement pour son application, ce qui soulève des questions sur la capacité réelle des autorités américaines à mener des enquêtes efficaces.
Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, plus de 16 000 personnes ont été tuées dans des violences liées aux gangs. Ces groupes contrôlent aujourd’hui jusqu’à 90 pour cent de la zone métropolitaine de Port-au-Prince et étendent leur influence vers d’autres régions.
La situation humanitaire s’aggrave rapidement. Plus de 1,4 million de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays en un an. Selon l’ONU, près de 5,7 millions d’Haïtiens, soit la moitié de la population, souffrent de la faim et les violences sexuelles touchent particulièrement les femmes et les filles.
Les États-Unis ont déjà imposé des sanctions, notamment le retrait de visas à des responsables politiques et à des hommes d’affaires soupçonnés de collusion avec les gangs. Le Canada et l’Union européenne ont adopté des mesures similaires. Mais cela n’a pas permis de freiner durablement la violence ni de garantir que les alliés des gangs soient écartés de la vie politique.
La nouvelle loi électorale haïtienne ne reconnaît pas les sanctions étrangères et ne comporte pas de clause de moralité, laissant la possibilité à des personnes soupçonnées de liens avec des groupes armés de se présenter à des fonctions politiques. La réduction des effectifs de l’ambassade américaine à Port-au-Prince et la fermeture du bureau de la DEA compliquent encore l’application du texte. Plusieurs observateurs s’interrogent sur la solidité des informations qui alimenteront les rapports exigés par la loi.
Ces dernières semaines, des hommes d’affaires haïtiens ont vu leur visa américain retiré sans explications et deux figures de l’élite économique ont été arrêtées aux États-Unis dans des dossiers liés à l’immigration, sans preuve publique d’implication dans les gangs.
La loi est aussi le résultat d’une mobilisation de la société civile et de la diaspora haïtienne lancée en 2023. Une pétition internationale a recueilli plus de 110 000 signatures et mobilisé des milliers de personnes aux États-Unis, en Haïti, au Canada et en France pour demander que les responsables politiques impliqués dans la violence rendent des comptes.
Pour beaucoup d’Haïtiens, l’adoption de cette loi est un signal politique important mais insuffisant pour changer la réalité sur le terrain. Sans moyens concrets, sans enquêtes rigoureuses et sans réforme profonde de la gouvernance locale, la loi risque de rester symbolique.
Reste à savoir si Washington transformera cet engagement législatif en actions concrètes capables de rompre durablement l’alliance entre gangs armés et élites qui paralyse Haïti depuis plusieurs années.